Autisme et Remédiation Cognitive selon Josef Schovanec

Josef Schovanec, écrivain, docteur en philosophie et sciences sociales, ancien élève de Sciences-Po Paris et porteur du syndrome d’Asperger, nous expose son singulier regard sur la remédiation cognitive lors de la 5ème Journée du C3RP, le 5 février 2016.

Transcription et diapos (extraits) :

Remédiation cognitive – méthode “maison”

C’est une joie d’être avec vous aujourd’hui. Une joie un peu inquiète et inquiétante pour moi, puisque je me sens quelque peu – notamment après l’exposé du professeur Drake – […] comme le fameux singe dans la nouvelle de Kafka, ce singe qui avait été élu à l’Académie des Sciences et qui devait faire un discours, […]

Ceci étant, avec votre permission, […] je me permettrai peut-être d’esquisser quelques points, puisque finalement en y réfléchissant, je me suis dit que peut-être […] je faisais de la remédiation cognitive sans le savoir.

Principes fondamentaux de la méthode « maison

Une sorte de méthode, pardonnez l’expression, « maison » qui n’est sans doute pas reconnue comme telle dans les classifications scientifiques, néanmoins, je me permettrai donc d’exposer quelques points liés à cela.

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  • Gens stabilisés (l’autisme n’est pas cause de délires)
  • Gens motivés (et même plus que cela : ils recherchent ce qui fait la Remédiation Cognitive, à savoir gérer des masses de données, etc)
  • L’autisme s’accompagne souvent de traits que la Remédiation Cognitive a l’habitude de gérer : TDAH, dys (“dys-tout”), théorie de l’esprit, difficultés de fonctionnement social – en particulier pour les opérations complexes (faire les courses, etc)

En voyant que finalement la remédiation cognitive, si elle a été développée pour d’autres particularités que l’autisme, pourrait tout à fait, à mon humble avis, cadrer avec le profil des gens dans le monde de l’autisme ou, comme on peu dire, des gens « membres de notre petit club. »

Puisque, en effet, nous avons à faire à des gens tout à fait stabilisés, […] des gens motivés et même très motivés comme nous allons le voir par quelques exemples […].

[…]Les centres d’intérêts qu’on appelle parfois centres d’intérêts restreints des gens avec autisme peuvent correspondre, d’une certaine façon, à certaines des pratiques qui existent dans le domaine de la remédiation cognitive.

Le programme de Remédiation Cognitive à Philadelphie, 1946

[…] Passons […] de suite à un premier exemple de programme de remédiation cognitive qui a été créé, il y a longtemps déjà, à Philadelphie […] qui consistait à souder des tubes à vide, […] les tubes à vide aujourd’hui on n’en utilise plus […], il fallait souder des milliers et des milliers de tubes à vides d’une façon particulièrement savante, […]

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tubes a vide
Vacuum tube

Ce programme a débouché sur le premier ordinateur de l’histoire[…] qui s’appelait ENIAC :

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 ENIAC
ENIAC 1946
ENIAC 1946
  • Vingt sept tonnes,
  • Cent soixante sept mètres carrés
  • Et quelque chose comme cinq millions de soudures

[…] Je ne sais pas à quoi aspire l’être humain dit « normal », peut-être à écouter de la musique ou à faire la fête, mais probablement que l’être humain dit « normal » n’aspire pas à réaliser cinq million de soudures à la main, c’est pour ça que nous avons besoin de gens un peu différents dans ce cadre […] de remédiation cognitive.

[…] A qui profite le plus ce programme, est-ce […] aux gens qui font les soudures ou est-ce […] aux gens qui profiteront de l’objet ? […] Ce programme […] de remédiation cognitive a profité, je pense, à beaucoup de gens, bien au-delà du domaine de l’autisme.

Ce programme a servi également à des non-autistes

On a eu également […] des exemples d’informaticiens [non] autistes, des gens qu’on pourrait penser […] porteurs de schizophrénie ou autre.

[…] Nous connaissons […] tous, du moins ceux qui ont ont connu l’informatique des années 80, les super ordinateurs CRAY, […]. Que veut dire CRAY ? C’est tout simplement le nom d’un monsieur […].

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Seymour Cray et son super-ordinateur
Seymour Cray

[…] C’était quelqu’un que […] l’on pourrait considérer comme schizophrène, […] il creusait des tunnels sous sa maison et dans ces tunnels il entrait en contact avec des OVNIs, paraît-il. […] En tout cas c’est […] étonnant comme aptitude, je ne l’ai pas je vous l’avoue, mais néanmoins, je pense que cette aptitude […], aujourd’hui nous en profitons […] tous puisque dans nos ordinateurs nous utilisons des technologies issues des travaux de ce monsieur […], de la remédiation cognitive […], réalisée […], d’une certaine façon, par Monsieur CRAY.

Un deuxième programme de Remédiation Cognitive

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wikipédia, langue
wikipédia, langues

Il y a eu également un deuxième programme quelque peu plus ancien […]. Il s’agit d’un certain type de lexicographie, de dictionnaire si vous préférez.

[…] Dans Wikipédia il y a différentes langues, il y a les grandes langues, […] je pense à l’anglais, à l’allemand ou au français, il y a aussi les petites langues, et puis il y a […] de très, très petites langues, […] ma question c’est : qui, à votre avis, remplit Wikipédia dans les toutes petites langues ? Est-ce que vous avez observé que Wikipédia existait en vieil anglais ? […]

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wikipedia, vieil anglais
wikipedia, vieil anglais

A votre avis qui est-ce qui écrit ce genre de texte ? Voilà, c’est un exemple[…] de remédiation cognitive pour soi même et pour autrui aussi […].

Parfois j’ai la chance de rencontrer des étudiants […] qui se posent des questions sur leur avenir : Qu’est-ce qu’il faut faire dans la vie ou pas? […] Quelle orientation choisir ou pas ? […] Si on en croit les conseils généraux que nous donnent les journaux […], il faut s’inscrire en licence d’anglais, parce que c’est bon pour un emploi et c’est bon pour le métier […].

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Licence Anglais, une bonne idée ?
Licence d’anglais, une bonne idée ?

A mon avis c’est une erreur, je déconseille vivement de s’inscrire en licence d’anglais, parce qu’en licence d’anglais vous aurez un amphithéâtre avec mille ou deux mille personnes, ce n’est pas une bonne idée.

Par contre, je recommande vivement de s’inscrire en licence de vieil éthiopien, parce qu’en vieil éthiopien vous serez seul avec le prof, lequel prof, sera ravi d’avoir un étudiant après cinq ans sans rien, et avec un peu de chance, le prof sera au moins aussi fêlé que vous !

[…] Une remédiation cognitive s’opérera en vieil éthiopien et avec un peu de chance avec des langues un peu bizarres de type katabanique, ougaritique ou autre, si ces noms ne vous disent rien, rassurez vous, c’est que tout est normal !

Troisième méthode, plus ancienne

[…] l’histoire des dictionnaires ou de la linguistique a été émaillé, véritablement, de gens de ce type.

Prenons un seul exemple, pour ne pas abuser de la patience de l’assemblée, un personnage qui est peut-être quelque peu oublié aujourd’hui : La Curne

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Jean-Baptiste de la Curne (1697-1781)
Jean-Baptiste de la Curne (1697-1781)

La Curne, était un singulier lexicographe du XVIIIème siècle.[…] Quelques petits indices : Il était, comme vous vous en doutez, d’une « santé délicate », à l’époque on avait pas […] toute la terminologie qu’on a aujourd’hui[…] Il a consacré intégralement sa vie à réaliser une série de dictionnaires comme les deux que je me suis permis d’illustrer ici :

  • Un dictionnaire des antiquités françaises, quarante volumes, tellement épais qu’on ne peut pas les sortir de la Bibliothèque Nationale.
  •  […] un dictionnaire historique de l’ancien français en pas moins de deux manuscrits, l’un 31 volumes, l’autre en 61, un seul a été […] publié. […]
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Dictionnaire de l'Ancien Langage François, JB de La-Curne
Dictionnaire Historique de l’Ancien Langage François, JB de La-Curne

[…] Dans la préfaces qui n’est pas de La Curne, […] on nous explique qu’il a entreprit cette tâche pour remédier aux lacunes de l’Académie Française qui tardait trop à publier son dictionnaire, et elle ne l’a toujours pas terminé à ce jour. […] Je ne sais pas combien de personnes sont prêtes à consacrer bénévolement leur vie à suppléer au manque d’une institution officielle, […] c’est tout à fait impressionnant ! […]

Une méthode à base de jardinage (visite guidée d’une plantation de petits pois)

Après, nous avons une méthode de remédiation cognitive à base de jardinage, nous pourrons visiter une plantation de petits pois qui est devenue illustre, c’était celle de Mendel.

diapo 24
Mendel
Mendel

Mendel était aussi quelqu’un de très particulier, voici ce qu’écrivait […] l’abbé Napp qui était son supérieur : […]

« Il est un “prêtre collégial [qui] mène une vie très retirée, modeste, vertueuse et religieuse, tout à fait appropriée à sa condition, mais aussi [qu’il] est très doué dans l’étude des sciences ; cependant, il a beaucoup moins d’aptitudes en tant que prêtre de paroisse, la raison en étant qu’il est saisi par une incoercible timidité quand il doit se rendre au chevet des malades ou simplement contempler quiconque étant malade ou souffrant […] et c’est pourquoi j’ai trouvé nécessaire de le relever du service paroissial. »

[…] Grâce à cela il a consacré sa vie à planter des petits pois et à observer les changements de couleurs et autre. Et donc c’est aujourd’hui, bien après sa mort, qu’on a redécouvert ses travaux, ainsi, il a fondé, indirectement, la génétique.

Je n’aurai pas le temps de vous montrer un aperçu complet des publications effectives de Gregor Mendel, mais […] il s’agit d’une publication particulièrement austère, il n’y a pas du tout de petits dessins […]. Il s’agit en fait d’une liste des expériences faites, à chaque fois avec beaucoup de chiffres […]. Le plus marrant, c’est que, […] la seule partie un peu littéraire des écrits de Mendel c’est l’introduction ou il y a quelques lignes que je me suis permis de présenter ici :

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Einleitende Bemerkungen.

Künstliche Befruchtungen, welche an Zierpflanzen deshalb vorgenommen wurden, um neue Farbenvarianten zu erzielen, waren die Veranlassung zu den Versuchen, die hier besprochen werden sollen. Die auffallende Regelmässigkeit, mit welcher dieselben Hybridformen immer wiederkehrten, so oft die Befruchtung zwischen gleichen Arten geschah, gab die Anregung zu weiteren Experimenten, deren Aufgabe es war, die Entwicklung der Hybriden in ihren Nachkommen zu verfolgen.

 Dieser Aufgabe haben sorgfältige Beobachter, wie Kölreuter, Gärtner, Herbert, Lecocq, Wichura u. A. einen Theil ihres Lebens mit unermüdlicher Ausdauer geopfert. Namentlich hat Gärtner in seinem Werke “die Bastarderzeugung im Pflanzenreiche” sehr schätzbare Beobachtungen niedergelegt, und in neuester Zeit wurden von Wichura gründliche Untersuchungen über die Bastarde der Weiden veröffentlicht. Wenn es noch nicht gelungen ist, ein allgemein gültiges Gesetz für die Bildung und Entwicklung der Hybriden aufzustellen[1], so kann das Niemanden Wunder nehmen, der den Umfang der Aufgabe kennt, und die Schwierigkeiten zu würdigen weiss, mit denen Versuche dieser Art zu kämpfen haben. Eine endgültige Endscheidung kann erst dann erfolgen, wenn Detailversuche aus den verschiedensten Pflanzenfamilien vorliegen.

Au début du deuxième paragraphe, il indique […], que son travail se fonde sur des travaux antérieurs et il cite des gens totalement inconnus […] comme : Kölreuter, Gärtner, Herbert, Lecocq, etc. J’aimerai voir la tête de ces gens-là, les planteurs de petits pois ! […]

Et pour ma part ( jadis… )

Pour ma part, très modestement […], j’ai aussi trouvé une […] façon de pratiquer un peu de remédiation cognitive en lisant des dictionnaires.

Rien de mieux après une journée extrêmement stressante […], que de se plonger dans un dictionnaire étymologique ou […] dans le huitième tome du Manuel de Morphosyntaxe du Proto-élamite Oriental qui est une lecture indispensable, conseillée pour le bien commun ! […].

Mais aussi de temps à autre, j’ai la chance de pouvoir passer du temps dans des écoles de langues à travers le monde, cette petite image peut nous montrer un petit coin que j’aime bien, c’est au sultanat d’Oman, on peut y suivre de très, très bons cours de langues […].

diapo 29
Sultanat d'Oman
Sultanat d’Oman

Neurotypical Syndrome – Trouble « non-autistique »

Et puisque mon temps est presque écoulé, dans les deux ou trois minutes qui nous restent, je me permettrai, puisqu’on m’a gentiment proposé de parler de l’autisme, de prendre le contrepied et donc parler de l’inverse, à savoir, du « non-autisme », des troubles « non-autistiques. » Peut-être qu’une remédiation cognitive pourrait également contribuer au mieux-être des personnes qui souffrent de troubles « non-autistiques ». Donc j’ai la joie de vous présenter le site web officiel de l’Institut des Troubles non-autistiques […].

Institute for the Study of the Neurologically Typical
Institute for the Study of the Neurologically Typical

Lisons et découvrons ensemble, si vous le souhaitez :

« Le syndrome non-autistique est un trouble neurobiologique …»

Du moins, ça c’était la version américaine puisque la version française serait qu’il s’agit d’un problème de relation avec la mère, […], et peut-être même d’un problème de relation avec une personne bien plus sinistre encore, à savoir, la belle-mère, qui pour des raisons qui échappent à votre serviteur, est appelée « belle » alors qu’en vérité elle est hideuse !

«…caractérisé également par des préoccupations sociales… »

[…] cela me fait penser à un roman que l’on m’a fait lire dernièrement ou l’auteure s’interroge à longueur de page et se tourmente l’esprit pour savoir si à telle soirée où elle avait mis un pull à col roulé […], elle se tourmentait l’esprit pour savoir quel effet avait produit ce col roulé sur les autres personnes. J’avais envie de dire à cette personne « rassurez-vous, ne souffrez pas autant, devenez autiste ! » […]

Nous avons également

… « des délusions de supériorité… »

[…] si je vous cite un personnage illustre : « Moi, Président », ça pourra être évocateur. Certaines personnes « non-autistes », en effet, souffrent d’une aspiration particulièrement violente pour le pouvoir et qui […] les fait souffrir beaucoup. Peut-être un programme de remédiation cognitive pourrait s’imposer pour les aider.

Enfin

… « des obsessions de conformité. »

Je pense notamment à tous les pauvres parents qui ont des enfants non-autistes, et notamment quand lesdits enfants deviennent des ados et veulent absolument avoir la même marque de fringues que leurs camarades de classe. […] Pour ma part je n’y connais rien aux marques de vêtements, toujours le même pull, c’est des économies en perspectives !

Très rapidement, les onglets :

  • Quelle est la prévalence du non autisme ?

  • Est-ce qu’il y a des traitements pour le non-autisme ?

[…]

Et en fin l’avant dernier onglet, c’est l’onglet le plus important :

  • Que faire si quelqu’un de votre entourage souffre de troubles non-autistiques

Est-ce qu’il faut donner votre numéro de carte bleue ? Qu’est-ce qui peut aider ?

Et cela me fait penser à cette histoire et ce sera sur cette histoire que je terminerai. […]

[…] Il y a […] un peu plus de treize ans, j’étais totalement dans les poubelles de la société, il n’y a pas d’autre expression possible, et celui […] qui m’a donné […] un petit boulot, celui qui a été mon employeur pendant plus de sept ans, est […] un monsieur aveugle de naissance, natif d’Alger et de parents analphabètes. […] Ce monsieur est bénévole dans des associations d’aide aux personnes très dépressives, voire suicidaires. […]

[…] L’épouse d’un ancien premier ministre français […] est très dépressive depuis de longues années et régulièrement elle téléphone à ces numéros d’aide, parfois, à l’autre bout du fil, c’est donc une personne aveugle de naissance, née à Alger qui répond.

Je trouve formidable que cette personne aveugle ait à remonter le moral de l’ancienne deuxième […] dame de France, c’est tellement évocateur.

Finalement, c’est peut-être cela le handicap, peut-être que la véritable mission ici-bas des personnes handicapées, serait de tenter tant bien que mal, de remonter le moral à des gens qui se croient un peu vite valides.

Merci beaucoup