Les CReHPsy : Quel projet pour faire avancer la Santé Mentale ? Denis Leguay

Les CReHPsy : Quel projet pour faire avancer la Santé Mentale ?

Intervention de Denis Leguay. Captation vidéo réalisée lors de la huitième journée du C3RP, le 28 juin 2019  au GHU Paris psychiatrie & neurosciences.

Les CReHPsy : Quel projet pour faire avancer la Santé Mentale ?

Denis Leguay

Médecin coordonnateur du CReHPsy Pays de la Loire

PROPOS INTRODUCTIFS

Isabelle Amado m’a demandé de venir évoquer aujourd’hui les « Centres Ressources Handicap Psychique », et c’est avec un grand plaisir que je le fais.

De quoi s’agit-il ? et qu’est-ce que ces « CReHPsy » nous apportent ? Comment peuvent-ils ambitionner, aujourd’hui, de faire avancer la Santé Mentale ?

Avant d’y répondre, je voudrais brosser rapidement le contexte, parce qu’il est essentiel. Juste quelques éléments.

Nous avons l’habitude, dans nos milieux sanitaires, de considérer les pathologies à travers le prisme de nos préoccupations médicales : diagnostiquer, vérifier qu’on ne se trompe pas, traiter, guérir, surveiller la bonne santé. Les patients entrent dans notre file active, et, plus ou moins rapidement, en sortent. C’est cela précisément notre responsabilité, notre travail, donc on s’en acquitte. On est compétents en médecine, pas en travail social, d’ailleurs nous n’avons reçu aucune formation de ce côté-là, fin de la partie.

AU DELA DES ENJEUX MEDICAUX, DES ENJEUX HUMAINS

D’abord parce qu’au-delà des enjeux proprement médicaux, relatifs aux soins que nous dispensons, il y a des enjeux sociaux, en fait, plus exactement, des enjeux humains. Que souhaitent les personnes vivant avec des troubles psychiques sévères et durables ? Essentiellement, mais tout simplement, une meilleure vie. Une meilleure vie, ça veut dire, sans doute, la paix de leurs symptômes, mais aussi une perspective, un sens à leur existence, un logement autonome et sûr, un rôle social, par exemple un travail, des échanges, la famille, l’amour, l’amitié, … Une dynamique qui les entraine vers l’avant qui leur donne envie du futur, qui leur donne espoir, et pas seulement le constat statique d’une stabilisation clinique. Pas seulement une « rémission » comme on le suggérait à une époque.

LES ACQUIS DES SOINS E REHABILITATIONS NE SONT PERENISES QUE S’ILS SONT UTILISES DANS LA VRAIE VIE

  • Ensuite, – c’est la deuxième raison -, parce que les acquis des traitements entrepris pendant cette phase médicale, des soins de réhabilitation psycho-sociale, tels par exemple que la remédiation cognitive, confortés par l’effet d’apaisement de la chimiothérapie antipsychotique, ne sont maintenus que lorsqu’ils sont mis en pratique, relayés par leur usage dans la vie quotidienne. Et c’est parfaitement logique, c’est le « fonctionnement en monde réel » qui permet de prolonger, de tirer parti, d’ancrer, de mémoriser les schémas mentaux qui vont conforter l’adaptation et l’autonomie. Autrement dit, si les soins de réhabilitation ne sont pas prolongés par une mise en pratique dans le champ de la vie sociale, ils ne servent pas à grand-chose.

L’ACCOMPAGNEMENT SOIGNE

  • Et enfin, parce que l’accompagnement vers la vie sociale, vers l’inclusion, en soi, est thérapeutique. On dispose maintenant de données probantes, en particulier dans le champ du logement et du travail. Les évaluations des programmes « Housing first » et « Working first » montrent une diminution importante du recours aux soins, une augmentation de l’estime de soi, de la qualité de vie etc. On peut dire la même chose des GEMs, des ClubHouse, de la pair-aidance, et de toutes les actions « orientées rétablissement ». Il est donc logique de faire entrer dans l’arsenal thérapeutique, de plein droit, les actions d’accompagnement.

LES « PARCOURS »

Bon, mais alors… comment mettre en œuvre tout cela ? C’est là où intervient cette fameuse notion de « parcours ». Elle s’est imposée naturellement, et vous remarquerez qu’en quelques années, tout le monde s’est approprié le concept. Qu’est-ce que cette notion introduit ? : Elle indique la durée, la globalité de la prise en charge, la diversité des intervenants, et aussi, il faut le dire, le caractère « asymptotique » de la guérison, toujours en ligne de mire, et rarement totalement acquise. On intègre là la notion de chronicité. Et en même temps de mouvement, de succession, de complémentarité, de coopération. C’est plutôt lucide. C’est la force de ce mot.

Mais sa faiblesse, c’est qu’il indique quelque chose qui reste à construire. Ce n’est pas parce qu’on en parle qu’il existe, ce fameux parcours. C’est Lacan (et ça m’amuse un peu de le citer ici) qui disait que le mot évoque la chose en son absence.

Et on ne peut pas se payer seulement de mots…

Bon, mais alors, comment peut-on les construire ces fameux parcours ? C’est là où on se confronte à cette particularité franco-française, la distinction du champ sanitaire et du champ social. Au lieu de réfléchir d’abord en termes de besoins, et d’actions à conduire pour les usagers, on va réfléchir en termes de droit : à qui incombe la responsabilité de conduire, mais avant, de concevoir, de décider, de telle ou telle action ?

Eh bien ça dépend. S’il s’agit d’un soin, on est dans un registre assurantiel (l’Assurance Maladie), c’est la Sécu, c’est l’ONDAM, c’est l’ARS, c’est l’ambition de l’aller mieux. S’il s’agit d’action sociale, on sera dans le registre de la solidarité nationale, de l’égalité devant la vie, de la citoyenneté, et donc de la compensation du handicap, ce seront les Conseils Départementaux qui seront à la manœuvre, avec les MDPH, et qui émargeront aux budgets de la nation, aux budgets d’Etat. Le premier registre est dynamique, ouvert, passager. Le deuxième s’installe davantage dans une pérennité difficile à remettre souplement en question, puisque chaque modification des modalités d’intervention doit repasser par la CDAPH, et une notification.

D’un côté le médecin est seul juge du besoin de soins, c’est une sorte de « magistrat du soin ». Il s’oriente avec la question : existe-t-il une pathologie et quel traitement requiert-elle ? De l’autre c’est un droit universel, qui a pour sens de rétablir l’égalité. D’un côté, côté sanitaire, rien n’est acquis. De l’autre, la compensation est de droit.

 Aujourd’hui cette distinction juridique a tendance à s’estomper, d’autant que les gouvernements successifs ont eu tendance à fiscaliser les cotisations sociales, mais ça n’empêche pas cette désarticulation de financement et d’attributions de perdurer au travers de deux types d’établissement différents, de deux filières de formation différentes pour les professionnels qui y travaillent, de deux cultures différentes, de deux administrations différentes, qui s’ingénient souvent, c’est humain, à se distinguer en affirmant leur souveraineté sur les modalités d’action qui sont placées sous leur responsabilité.

LES TROUBLES PSYCHIATRIQUES RELEVENT DES DEUX CHAMPS

Or les troubles psychiatriques, psychiques, c’est une évidence, relèvent des deux champs. Ils ne sont pas les seuls, mais sur ce sujet ils sont franchement paradigmatiques. Entre pathologie et handicap, si l’on devait opter, on voit bien que le choix ne serait pas neutre. D’un côté le soin et l’attente de la guérison, au risque d’être déçus, au risque, dans l’attente, de devoir maintenir la prise en charge institutionnelle, au risque d’une circulation en vase clos, au risque d’une désocialisation. De l’autre côté la voie de la compensation du handicap au risque de l’immobilisme, de la fermeture à la dynamique de rétablissement et d’empowerment.

Je pense que je n’ai pas besoin de développer : les personnes présentant des troubles psychiques sévères et persistants doivent pouvoir bénéficier des deux approches. Elles doivent avoir accès à l’ensemble des réponses du système de soins comme de l’action sociale, et médico-sociale. En tant que souffrant d’une pathologie, elles doivent bénéficier d’une approche soignante, médicamenteuse, d’éducation thérapeutique, de réhabilitation, ou de prise en charge de crise. Et en tant qu’en situation de handicap, elles doivent pouvoir être aidées, accompagnées par des prestations adaptées et adaptables à leurs besoins, c’est à dire en fonction de leur état. Ajoutons que c’est un droit, celui de leur participation à la vie en société. Ajoutons que c’est précisément ce qui est reconnu par la littérature internationale, comme le montre le travail du Centre de preuves en santé mentale, comme étant le plus efficient.

Et remarquons qu’aujourd’hui c’est trop peu le cas. En fonction de la « polarité » des besoins des personnes, on les oriente soit vers des solutions institutionnelles, ou de compensation sans réévaluation, soit vers des suivis structurés par des projets de soins, même si on peut trouver, ici ou là, des contre-exemples, de parfaite coordination entre acteurs des deux champs.

La situation de la région parisienne est particulière, avec une offre médico-sociale « psy » portée par des acteurs historiques, solides, et inspirés par des psychiatres, souvent leurs fondateurs (on peut évoquer Falret, L’Elan, la SPASM, etc…). Mais la question demeure, pour l’ensemble du secteur médico-social comme pour eux, de savoir si les pratiques effectives de prise en charge sont réellement déterminées par les intérêts des usagers ou par ceux des institutions, elles-mêmes prisonnières des catégories administratives qui encadrent leur fonctionnement, et déterminent leur financement. En disant cela, je ne souhaite pas désigner particulièrement le secteur médico-social, car on pourrait dire exactement la même chose du secteur hospitalier.

Mais, dans cet esprit, on remarquera l’intérêt grandissant du secteur médico-social classique pour le handicap psychique, qui pourrait constituer un opportun « relais de croissance ».

Bon, je ne vais pas m’appesantir sur cet état de fait, par ailleurs bien connu, l’étanchéité l’un à l’autre des deux systèmes, sanitaire et médico-social. Conceptuellement c’est très bien, on ouvre des droits, on qualifie des actions, ces dernières sont bien identifiées, mais en pratique, c’est compliqué, c’est lent, et, – c’est notre conviction – , générateur de ces « rupture de parcours » dont on dit par ailleurs qu’on souhaite en priorité lutter contre elles. On l’aura compris, je n’incrimine évidemment pas les personnes mais la structuration de notre système

Alors les CReHPsy ?

Eh bien, ils ont vocation à être le chainon manquant.

De deux manières, je vais le dire, mais avant, il faut brièvement rappeler leur histoire. C’est à la fin des années 2000 que l’association « Galaxie », association qui se consacrait à la réflexion et à la recherche du secteur médico-social dédié aux situations de handicap psychique, a élaboré, avec l’UNAFAM, le concept de CReHPsy. L’idée était, je vous la fais courte, de développer une clinique du Handicap Psychique qui permettrait, en mesurant des paramètres significatifs, une meilleure orientation des personnes vers les dispositifs médico-sociaux dont ils relèvent. Les CReHPsy étaient envisagés comme des lieux ressources, promouvant des filières de prise en charge, des techniques, des outils, des processus d’évaluation. Ces CReHPsy s’articulaient à des ESEHP. En fait l’idée était déjà déclinée sur une petite dizaine de territoires, en s’appuyant sur un existant local, affichant une certaine diversité d’organisation et de missions. Un rapport de Galaxie, financé par la CNSA a décrit cette diversité.

Dans les faits, deux types de Centres Ressources se sont édifiés :

  1.  un type remplissant essentiellement une fonction « ressources », proposant de la formation ou de la sensibilisation sur la notion et la clinique du Handicap Psychique, diffusant auprès du public concerné de l’information sur les soins et l’accompagnement, proposant un appui technique pour la construction de dispositifs sanitaires délivrant des soins de réhabilitation, ayant une fonction « recherche », remplissant une fonction de « plaidoyer » pour l’inclusion, le rétablissement, l’empowerment, la pair-aidance,
  2.  et un type remplissant (aussi) les missions que je viens de décrire, mais proposant également des prises en charge, se structurant sous forme de réseau, articulant les différentes offres de services de soins et d’accompagnement, recevant un public demandeur, évaluant ses capacités et sa dynamique de rétablissement, et aidant concrètement la personne à s’orienter dans les arcanes de la vie sociale pour une meilleure inclusion.

Bien entendu, le choix entre ces deux types était surtout déterminé par des problématiques de financement, la question étant de savoir si un réseau, parallèle au réseau de soins et d’accompagnement existant, pouvait partout se construire.

Quoiqu’il en soit, et si l’on s’intéresse à ce qui se passe maintenant, on peut dire que le « cœur de métier » des CReHPsy est de faciliter l’accès aux parcours intégrés de soins et d’accompagnement, de faciliter le rétablissement, d’induire sur les territoires l’inflexion des pratiques pour laisser davantage de place à l’empowerment, en incitant tous les acteurs à penser le « care » ensemble.

Alors, évidemment, la question pourrait se poser de savoir pourquoi il faudrait qu’un troisième acteur, après celui des soins et celui de l’accompagnement, devrait s’interposer pour qu’ils travaillent ensemble. Eh bien, pour une raison toute simple : toute institution a une naturelle tendance à fonctionner sur elle-même, sauf quand elle est obligée de faire différemment. Je sais, ce n’est pas glorieux, elle devrait être naturellement ouverte, à l’écoute, en appétit de partenariat, mais le fait est, et on le voit partout, – j’attends les contre-exemples – que pour les professionnels qui la composent, la force centripète est supérieure, au quotidien, à l’ouverture à d’autres cercles, et spécialement quand ceux-ci baignent dans une culture différente. Ce n’est pas condamnable au fond, c’est ainsi, ça ne devrait pas exister mais ce serait faire preuve d’idéologie qu’au prétexte que ce n’est pas souhaitable, et conforme à notre idéal républicain, on fasse comme si ça n’existait pas.

En définitive, qu’apportent les CReHPsy, dont je viens au fond de dire que ce pourrait être aussi un caillou dans la chaussure des institutions ?

Au travers des missions et des actions que je viens d’évoquer, – faciliter les articulations entre secteurs professionnels pour faciliter les parcours, viabiliser les chemins du rétablissement, intervenir pour que soit délivrée une aide concrète -, l’essentiel pourrait être de porter un éclairage fécond sur la notion de handicap psychique. Le handicap psychique c’est juste constater qu’une personne n’est factuellement pas en situation de participer avec les mêmes moyens à la vie citoyenne, qu’elle recouvre la sphère privée ou la vie en société. C’est une « restriction de participation », et on sait, pour les personnes vivant avec des troubles sévères et persistants, à quoi elle est due. Ça a à voir avec la cognition, la symptomatologie dysexécutive, du côté de la personne, et avec une surdité collective, côté société.

 Le handicap psychique, c’est une notion originale, au fond, puisqu’elle est mixte, ce n’est pas un attribut de la personne, c’est la qualification d’une situation. Et cette situation est inacceptable, non pas en soi, chacun est comme il est, mais au regard des valeurs qui fondent notre société. Désigner le handicap psychique, c’est dire qu’il y quelque chose d’injuste. Ce n’est pas seulement un dysfonctionnement, c’est un scandale.

C’est la raison pour laquelle il y a quelque chose de militant, dans le fait de s’intéresser au Handicap Psychique. Et il ne s’agit pas seulement de faire une petite tambouille, avec les moyens du bord, la réglementation existante, pour améliorer l’ordinaire des personnes, mais de les restaurer dans une dignité. Et ça peut représenter des choses très concrètes. Je pense par exemple à la PCH. La PCH, prestation de compensation du handicap, est une aide personnalisée, créée par la loi de 2005. Pour les problèmes psychiques, c’est bien souvent une aide humaine qui est requise. Les critères d’attribution de cette PCH sont au nombre de 19. Eh bien, sur ces 19 critères, seuls deux[1] peuvent concerner les troubles psychiques, et encore, en tirant par les cheveux l’interprétation que l’on en fait (car cette interprétation est très soigneusement détaillée). Pas moyen, par exemple, de faire entrer les troubles de la volition dans cette catégorie, alors que c’est l’une des dimensions majeures du handicap psychique… !

On sait que c’est le cheval de bataille, et à juste titre, de l’Unafam, qui est confrontée quotidiennement au problème, qu’une aide humaine pourrait largement atténuer. Eh bien les CReHPsy, dans leur positionnement de terrain avec leurs partenaires, sont, de par leurs missions, spécialement impliqués dans ce que les spécialistes en santé publique appellent le « plaidoyer ». Les CReHPsy sont, dans leurs territoires, et dans le traitement concret des situations, ou d’animation des réseaux d’acteurs, en posture de plaidoyer.

Voilà, je vais m’arrêter là, Isabelle souhaitait que j’aborde les CReHPsy par le biais d’un « projet pour faire avancer la santé mentale », c’est un peu ce que j’ai essayé de vous proposer. Pour terminer, je voudrais insister sur l’idée suivante : quand on parle de réhabilitation, on pense souvent évaluation cognitive, outils, programmes, on parle parcours, que dans nos milieux on assimile un peu trop au simple suivi, on parle pratiques orientées rétablissement, c’est l’étape d’après, et c’est bien quand ça marche bien, on parle pouvoir d’agir et pair-aidance, mais peut-être ne parle t on pas assez des situations qui s’enkystent, des défaillances du système qui s’accumulent, des occasions manquées, des échecs, de la pulsion de mort, mais aussi de la pauvreté de notre équipement, du manque de formation, souvent, de nos équipes, dans les territoires de la France blessée. Il y a là aussi, à ouvrir les yeux : quelle action minimale à mettre en œuvre ? quelle aide concrète ? quel soutien aux aidants ? quelle solidarité de la communauté ? quelles conditions d’existence à proposer, et avec qui y réfléchir ? Comment faire passer ce qui doit rester une ambition forte ?

Je vous laisse ici, avec plus de questions que de réponses. Merci

[1] Gérer sa sécurité, et Maîtriser son comportement dans ses relations avec autrui.


Voir aussi :

https://c3rp.fr/handicap-psychique-et-autonomie-denis-legay/