Réflexions sur le parcours socio-sanitaire précoce

Réflexions sur le parcours socio-sanitaire précoce et ses possibles déclinaisons en France. Par Christine Passerieux.

Dans cette vidéo tournée lors de la 8ème journée du C3RP le Dr Christine Passerieux nous soumet sa réflexion sur le parcours socio-sanitaire précoce et nous parle de la mise en place expérimentale d’une nouvelle prise en charge des personnes souffrant de schizophrénie à Versailles, PASSVers.

Contenu des diapos :


(1) Réflexions sur le parcours socio-sanitaire précoce et ses possibles déclinaisons en France

  • Christine Passerieux
  • Chef du pôle de Psychiatrie de Versailles
  • Centre de Preuve en Psychiatrie et en Santé mentale
LOGO-CENTRE-DE-PREUVE ufr-simone-veil

(2) Un constat partagé concernant les Troubles Mentaux Sévères et Persistants (TMSP)

  • Les personnes souffrant de troubles mentaux sévères ont des besoins élevés
    • de soutien social (risque élevé de handicap psychique dès le début des troubles)
    • de soins somatiques (comorbidités – diabète, troubles cardio-vasculaires – beaucoup plus fréquentes qu’en population générale et espérance de vie réduite de 15 à 20 ans.)
    • de prise en charge des addictions
    • et de soins spécifiques liés à leurs troubles
  • Le constat dans l’ensemble des pays développé est celui d’une réponse très largement insuffisante aux besoins de santé de ces personnes
  • Et tout particulièrement sur les trois premiers points (OMS)
Écart d’espérance de vie à 15 ans entre les individus suivis pour un trouble psychique et les bénéficiaires du Régime général et des Sections locales mutualistes (SLM) par sexe et pathologie
téléchargement PDF : Personnes suivies pour des troubles psychiques sévères : une espérance de vie fortement réduite et une mortalité prématurée quadruplée Magali Coldefy, Coralie Gandré (Irdes)

(3) Le paradigme du rétablissement

  • Les troubles mentaux sévères sont le plus souvent chroniques ou récidivants
  • Concernant les troubles schizophréniques :
    • 1 personne diagnostiquée sur 7 connaitra une rémission stable symptomatique et fonctionnelle
    • et donc 6 personnes / 7 devront apprendre à vivre avec des manifestations plus ou moins envahissantes de la maladie.
  • Ce constat cohérent avec celui des usagers de la psychiatrie et de ses « survivants »
    • Orientation des soins et des accompagnements guidée par le modèle du rétablissement
    • il ne s’agit plus de guérir, ou d’éradiquer les symptômes
    • l’objectif visé est celui de la qualité de vie, de l’autonomie et de l’insertion des personnes, et de leur accomplissement personnel

(4) Le paradigme du rétablissement : créer une synergie des soins et des accompagnements

  • Soutenir l’empowerment des personnes concernées : proposer les soins en fonction du projet de vie de la personne (ressentis comme immédiatement utiles) –> favoriser l’engagement dans les soins  
  • La synergie est démontrée dans de nombreux domaines :
    • L’accès au logement : « un chez soi d’abord »  (réduction des symptômes, acceptation des soins, réduction des hospitalisations et des coûts, amélioration qualité de vie et rétablissement…)
    • L’accès à l’emploi : l’emploi accompagné « enrichi » favorise le maintien dans l’emploi *
    • Le suivi socio-sanitaire précoce / à certains moments du parcours : préserve l’autonomie et favorise le rétablissement personnel
  • Mais organisation d’une très grande complexité :
    • répondre à l’ensemble des besoins et le plus tôt possible
    • mobiliser une grande diversité de ressources et de professionnels de formation et de missions diverses
    • articuler les réponses et coordonner les professionnels
    • à un coût raisonnable (efficience)

(5) Les suivis « socio-sanitaires » dans le monde …

Pertinence des soins communautaires:

  •   modèle prôné par l’OMS depuis 1995
  •   un très haut niveau de preuve
  •   3 principes communs :
  •   case management
  •   multidisciplinarité (co responsabilité sanitaire et sociale)
  •   suivi ambulatoire (proche du lieu de vie du patient) / éviter   +++ les hospitalisations surtout longues et/ou sans   consentement

-> PACT, FACT, RACT

PACT (Program of Assertive Community Treatment):

  •   USA, à la fin des années 1960
  •   Déplacement de moyens de l’hospitalisation vers la communauté
  •   Continuité du suivi en post hospitalisation, suivi intensif ambulatoire
  •  –>  Concerne les plus sévères (environ 20 % des TMSP)

(6) Les suivis « socio-sanitaires » dans le monde …

Puis 2 organisations  ≠  basées sur 2 principes prioritaires  ≠ :

Continuité de l’équipe   vs    Spécificité des soins

FACT (Flexive Assertive Community Treatment ) :

RACT (Ressource-group Assertive Community Treatment):

Au Pays Bas depuis 2007, devenu programme prioritaire depuis 2015

Diffusion en Angleterre, Belgique, Canada, Norvège, Suède

Continuité du suivi par la même équipe, quelque soit l’état clinique du patient (intensité du suivi adaptée)

Une équipe Suédoise (2012)

met l’accent sur le rétablissement et l’empowerment

àla personne et son entourage font partie de l’équipe

Données de preuve fragiles : études avant/après* (amélioration observance, qualité des vie, réduction des hospitalisations)

*Nugter, Engelsbel, Bahler, Keet & Van Veldhuizen (2015)

2 méta-analyses/ 2263 patients /17 études (dont ECR)

Bénéfice + sur les symptômes (0.5) ++ sur le fonctionnement (0.93) et +++ sur le bien être (1.16) / taille d’effet combiné large*

* Falloon et al. 2004; Norden, Malm et al, 2012

 


(7) Et en France ?

Le modèle dominant actuel

  • offre de soins hospitalo-centrée / soins sans consentements et hospitalisations parfois de très longue durée et inadéquates
  • accès aux soins de réhabilitation très inégal (mais déploiement en cours / instruction aux ARS)
  • accès aux soins somatiques et à des prises en charge ciblant les conduites addictives très insuffisant
  • accès très insuffisant et très tardif à des mesures d’accompagnement et de soutien social / conditionné par la reconnaissance d’une situation de handicap psychique constituée / difficultés d’identification des critères d’éligibilité par les MDPH
  • Un diagnostic qui fait consensus (travaux du Centre de Preuve) ?

(8) Feuille de route  santé mentale et Psychiatrie
Comité Stratégique de la Santé Mentale et de la Psychiatrie

Action n° 12: Mettre en place des parcours de soins coordonnés pour les personnes souffrant d’une pathologie mentale grave.

Enjeux

Pour les troubles sévères et persistants, la mise en œuvre conjointe et coordonnée, dès le début des troubles et, si possible, avant une reconnaissance de la situation de handicap de la personne par la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH), d’un suivi sanitaire et d’un suivi social et/ou médico-social est déterminante.

Le suivi social est assuré en propre par les acteurs du champ social ou médico-social.

Le suivi sanitaire est sous la responsabilité du secteur de psychiatrie pour l’ensemble de la population concernée composant sa zone géographique.

Il est orienté selon les principes du rétablissement.

Ce parcours est constitué de suivis intensifs ambulatoires pour éviter les hospitalisations, et d’un accès aux techniques de soins connues pour être efficaces dans la réduction du handicap fonctionnel.

Les objectifs de cette organisation sont d’être résolument tournés vers l’ambulatoire, d’offrir un case management de proximité, sanitaire et social, assurant une continuité du suivi socio-sanitaire tout au long du parcours 

Actions

Mettre en œuvre des parcours coordonnés, sur la base d’une note de cadrage aux ARS.


(9) Et sur le terrain ?

  • quelques expériences de suivi socio-sanitaire plus ou moins centrées sur le début des troubles (Paris, Caen, Saint Etienne, Lille, Tours, …)
  • différents objectifs et différentes organisations
  • pas de recensement
  • Exemple de l’expérimentation PASSVers sur le secteur de Versailles-Le Chesnay : déclinaison des propositions du centre de preuve (continuité, intensité variable, orienté rétablissement)
  • Et quelques propositions générales sur la diffusion des suivis socio-sanitaire

(10) Le dispositif PASSVers

dispositif PASSVers

  • Fortement ancré sur le terrain : élaboré et accompagné par un CLSM
  • 4 partenaires : la ville de Versailles, le Conseil départemental des Yvelines, l’Oeuvre Falret, le Centre Hospitalier de Versailles
  • Un co-financement ARS, CHV, CD, Ville de Versailles
  • Objectifs :
    • Prévention du handicap psychique par un accompagnement socio-sanitaire des personnes suivies au CMP pour un trouble schizophrénique
    • Empowerment des personnes accompagnées
    • Implémentation des pratiques orientées rétablissement dans un CMP
  • Étude de faisabilité et d’impact (quali-quanti)
Centre Hospitalier de Versailles
Centre Hospitalier de Versailles
Conseil départemental des Yvelines
Conseil départemental des Yvelines
ville de Versailles
ville de Versailles
l’Oeuvre Falret
l’Oeuvre Falret

(11) PASSVers en pratique

Accompagnement socio sanitaire assuré par un binôme TS / IDE ,

–>Travailleurs sociaux de proximité, complémentaires dans leurs compétences et leurs réseaux :

  • du CCAS de la ville de Versailles (proximité géographique)
  • du CD (légitimité sur le handicap et l’autonomie)
  • de l’Œuvre Falret (connaissance du médico-social et du handicap psychique)

qui gardent leur lien fonctionnel avec leur institution de rattachement (différence d’une AS du CMP)

–> IDE : toutes les IDE du CMP

–> CMP disposant d’une palette diversifiée des soins de réhabilitation et d’une expertise du maniement des psychotropes

Organisation en équipe resserrée : le patient / ses proches / son référent social (TS) / son référent sanitaire (IDE)

–> Élaboration / suivi d’un projet global d’accompagnement et de soins

–> Suivi d’intensité variable


(12) PASSVers : quelques résultats …

  • 73 patients inclus (sur une FA de 176 personnes / + jeunes, + instables, même degré de handicap)
  • Elaboration du projet: 33 % du tps de l’équipe resserrée
  • 80% de l’activité se situe au sein du CMP
  • Proches inclus dans l’équipe resserrée: 40 % des situations
  • Autre acteur social dans la PEC : 77% des situations
  • Les domaines des projets de vie travaillés:
    • Vie quotidienne 28%
    • Insertion professionnelle 25%
    • Administratifs 16%
    • Logement 14%
    • Insertion sociale 13%
PASSVers : quelques résultats
PASSVers : quelques résultats

(13) Devenir des patients (n= 73)

« il s’est passé quelque chose de positif  depuis la mise en place de PASSVers …)

  • Une ligne par personne
  • Logement, Travail,
  • Accès aux droit,
  • Soins

Impact prédominant sur l’accès aux soins (de réhabilitation et soins somatiques)

il s’est passé qq chose de positif  depuis la mise en place de PASSVers


(14) Quelques points saillants de l’expérimentation PASSVers :

Implémentation dans un CMP :

  • Principe de rationalisation des coûts : transformer l’existant plutôt que de créer de nouveaux dispositifs à coté
  • Cible la population pour laquelle le secteur a été conçu à son origine
  • Objectif de changement des pratiques (culture rétablissement)

Premiers résultats encourageants

  • pertinent pour des patients jeunes, instables, symptomatiques
  • meilleur engagement dans les soins de réhabilitation / somatiques
  • ressenti de l’équipe d’un changement de posture ++
  • réduction du recours aux soins sans consentement pour l’ensemble de la file active du CMP
  • Étude qualitative en cours pour cibler la question de l’augmentation de l’empowerment des usagers / place de la décision partagée

(15) Quelques points saillants de l’expérimentation PASSVers :

Constat concernant le partenariat entre les différents acteurs sociaux, médico-sociaux et sanitaires :

  • Très grande pertinence du travail en binôme IDE / TS (pertinence, sécurité, efficience)
  • Synergie accompagnement et mises en situation / identification des obstacles et des besoins / acceptation des soins et des aides
  • Déséquilibre actuel du dispositif au profit du CMP et des personnes déjà suivies / Changement prévu : interventions en binôme dans les lieux de suivi social pour un autre public (évaluation, adaptation de la réponse sociale / accès aux soins)

(16) Quelques points saillants de l’expérimentation PASSVers :

Différenciation du partenariat du sanitaire avec le social et le médico-social  :

CMP / CCAS et TAD :
  • très différents et donc très complémentaires
  • même territoire / Co Responsabilité géo populationnelle
  • coordination en proximité / participation à l’« équipe resserrée »
 CMP / médico-social :
  • arrêt de la participation à l’équipe resserrée (réduction des coûts)
  • coordination dans le parcours pour :
    • l’hébergement / accompagnement à la vie sociale
    • l’insertion professionnelle / emploi accompagné

(17) Des principes communs à différentes déclinaisons du parcours socio-sanitaire ?

  • case management et coordination en proximité des soins et des actions d’accompagnement / décision partagée avec le patient (et proches) au quotidien
  • sur un territoire limité et au plus proche du milieu de vie habituel des personnes / articulation avec le secteur / mobiliser +++ les ressources du patient et de son entourage
  • Ambulatoire / Éviter +++ les hospitalisations longues / non programmées / sans consentement
  • Sans doute plusieurs modèles possibles :
    • intégration à l’équipe de secteur comme dans notre CMP (mais déjà très orientée vers les TMSP)
    • équipe dédiée rattachée au secteur
    • à différents niveaux d’intensité et dans différents moments pertinents du parcours

(18) Des pratiques orientées rétablissement

  • les outils de la réhabilitation : analyse fonctionnelle, vision globale de la personne, de ses ressources, des ressources de son entourage et  de son environnement, de ses besoins /prendre en compte l’ensemble de ces besoins
  • des outils qui favorisent un processus de décision partagée (plan global d’intervention plutôt que plan de crise)
  • des soins proposés en fonction des projets de vie de la personne : accompagner la personne dans ses projets et cibler ce qui fait obstacle à la réalisation de ses objectifs / accorder le droit de se tromper, de recommencer (P. Deegan)
  • différenciation des rôles et des métiers pour favoriser la complémentarité
  • place prépondérante des paramédicaux et des travailleurs sociaux / décentrage par rapport à un suivi par le psychiatre / penser la place des usagers (pairs aidant ou patients experts)

(19) Des ressources nécessaires au niveau territorial 

  • plateforme de soins de réhabilitation
  • organisation / dispositif d’accès aux soins somatiques (partenariat MG / consultations spécialisées hospitalières / soins dentaires…)
  • Palette d’accompagnements versl’emploi (petits boulots, travail accompagné, emploi protégé)
  • ressources pour l’accès et le maintien dans le logement (équipe d’accompagnement, coordination SAAD spécialisé / SAMSAH ou SAVS)
  • dispositif (type recovery college) pour favoriser le pouvoir d’agir des usagers, leur appropriation des connaissances utiles, dont leur droits, la formation de patients experts, mais aussi l’information / formation des familles

(20) Quelques obstacles à dépasser…

  • Faire évoluer le modèle français actuel du parcours des personnes handicapées très inadapté aux troubles mentaux sévères
  • Réduire les cloisonnements : des acteurs, des financements, des décideurs
  • Soutenir l’appropriation par les professionnels du modèle du rétablissement
  • Accepter les changements de place des différents acteurs / crise démographique médicale : difficulté ou opportunité ?
  • Soutenir l’investissement que nécessite un changement de modèle / faire la démonstration du caractère soutenable de cette transformation sur le plan médico-économique
  • Aider la société à changer, être moins stigmatisante et plus inclusive